No brain, no gain : le dos rond, c'est la vie !

No brain, no gain : le dos rond, c'est la vie !

 

Introduction

De nombreux champions de force athlétique passés ou actuels pratiquent le soulevé de terre dos rond.

Pourtant les coachs actuels et praticiens de santé s’évertuent à dire qu’il faudrait soulever en ayant un dos neutre ou droit. C’est le postulat de base concernant la position du rachis pour le port de charge depuis le début des années 2000 et Stuart McGill. La flexion lombaire serait à bannir car elle augmenterait les contraintes mécaniques sur la colonne vertébrale. Elle augmenterait donc les risques de douleurs ou blessures, et serait peu efficace pour soulever une charge du sol. La majorité des recommandations, des formations de kinésithérapeute se basent sur ce postulat pour éradiquer les douleurs lombaires, dorsales, lombalgies en invitant les gens à soulever des charges avec un mouvement proche du squat pour maintenir le rachis « correctement ».

Sauf que les douleurs dorsales explosent depuis 20 ans.
Sommes-nous trompés concernant les flexions lombaires ? Avons-nous diabolisé un faux coupable ?
Nous allons, à travers cet article et sur les postulats expliqués dans les précédents, pourquoi l’analyse du dos rond ne s’applique pas réellement et surtout dédiaboliser la flexion lombaire, que cela soit pour la santé ou la performance.

Une recommandation basée sur des expériences sur des rachis de porcs morts

Stuart McGill a popularisé cette idée que le dos rond n’est pas efficace pour le port de charges, légères ou lourdes d’ailleurs, en se basant sur une étude effectuée sur des rachis de porcs morts. Il a mis en évidence qu’après de multiples flexions et extensions du rachis, il y avait l’apparition d’hernies discales.
S’en est suivi de nombreuses formations à destination du personnel de santé, de nombreuses campagnes financées par la sécurité sociale pour expliquer que la flexion lombaire est à proscrire et qu’il n’y a qu’un seul modèle efficace pour ramasser une charge du sol : le squat (qui implique un dos neutre / droit, contraction des abdominaux, une grande flexion au niveau des genoux).

Ici, il n’est pas question de remettre en question les compétences, la légitimité ou la crédibilité de ce ponte. De véritables spécialistes ont déjà exprimé l’utilité des modèles de McGill, tout en les atténuant.
Comment ont-ils fait ? Ils ont déjà regardé le nombre de flexions et extensions à partir desquelles des hernies ont commencé à se développer sur les rachis de porcs : 86000. C’est un nombre énorme. Ensuite, ils se sont basés sur des études qui montrent qu’il y a de grandes différences entre les études in vitro et celles in vivo (autrement dit entre celles basées sur des morts et les autres des vivants).
D’autant plus que l’humain est différent du porc. Et nous allons revenir à nos préceptes évoqués dans les précédents articles. L’humain s’adapte à la contrainte, il récupère, il devient plus fort. Quand bien même, les muscles le long de la colonne s’adaptent moins vites que les autres muscles, il y aura une adaptation. L’humain ne fait pas 86 000 flexions lombaires sans repos ni rien.
Nous pouvons donc remettre en cause déjà l’étude sur lequel se base le postulat que la flexion lombaire est néfaste pour l’homme. Tout du moins réfléchir quant à son application réelle.

Une recommandation avec peu d’effets car peu appliquée ni applicable

Éviter la flexion lombaire n’a que peu d’effets sur la réduction des lombalgies. C’est le constat d’échec observé par plusieurs études. Qui en donnent également les raisons.
Cela s’explique tout d’abord car peu appliquent la recommandation de squatter pour soulever une charge légère ou lourde du sol. Et si c’est peu appliqué, c’est que ce n’est pas réellement applicable.

La dépense énergétique pour squatter est bien plus grande que de ramasser une charge du sol. Or, notre système est construit pour toujours être dans le gain d’énergie, la simplification pour réaliser la tâche. D’autre part, il existe une variété des contextes de port de charges beaucoup trop larges pour qu’un seul mouvement puisse les réaliser tous dans leur ensemble de manière efficace. Nous ne pouvons pas ramasser de la même façon un ballon, un sac lourd, un jouet ou une table basse.
Une seule technique ne peut convenir à tous ces contextes.
Rajoutons à cela qu’étrangement, les gens qui ont des douleurs au dos, pratiquent cette technique du squat pour ramasser des objets. Aucune réduction des douleurs n’a été observée. Et cela s’explique par une plus grande contrainte biomécanique sur le dos. Je répète, la position de squat pour ramasser un objet a amené une plus grande contrainte sur le dos des participants de l’étude. C’est contre intuitif évidemment par rapport au discours actuel. Mais explicable.

La science valide la flexion lombaire pour la performance et la santé

Actuellement, nous sommes capables d’évaluer et d’observées beaucoup de mécanismes physiologiques. Lorsque l’on fait un mouvement, quels sont les muscles engagés, la vélocité du mouvement, les points d’accroche, d’où vient le système nerveux, qu’active-t-il etc.
A travers les prochaines lignes, nous allons dédiaboliser la flexion lombaire. En utilisant les éléments observés par la science et les pratiquants.
Depuis 2005, nous avons observés que lorsque vous faites une flexion lombaire vs un mouvement en dos neutre, il y a moins de contrainte sur la colonne avec la flexion lombaire. On observe moins de pression.
Sur les 10 dernières années, plusieurs études indiquent qu’il n’existe pas de lien de causalité observé entre la flexion lombaire et les lombalgies.
Nous rajouterons même que la flexion lombaire permet de charger plus lourd. Tout de suite, cela doit vous ramener à notre précédent article. Qui dit plus de charges, dit contrainte mécanique supérieure et donc un renforcement plus efficace de vos tissus.
Souvent, l’on entend la crainte que la flexion lombaire use nos vertèbres, nos disques. Que cela aura donc un impact plus tard dans le temps et qu’il fallait conserver la faculté de nos tissus. Or cela non plus n’a pas été observé par la science.
Pour enfoncer le clou, il est surtout nécessaire de rappeler que la flexion lombaire est fonctionnelle. Et donc inévitable. Même sur des mouvements ou vous pensez garder le buste droit (soulevé de terre, Kettlebel Swing, Good morning), on observe une flexion lombaire pouvant aller jusqu’à 90% de la capacité de flexion de votre rachis. Cela ne sert donc à rien de l’éviter vu qu’elle s’opère même lorsque vous ne le désirez pas.

Trouver une position confortable doit être votre boussole

L’objet même de cet article, au-delà de rétablir la réputation de la flexion lombaire, est surtout de vous rassurer. De vous faire sortir de l’esprit, qu’il n’existe qu’une position pour un mouvement. Une efficience gestuelle unique pour nous tous. Alors que nous sommes tous différents anatomiquement, physiologiquement et socialement. C’est sur ce point que s’écharpe les biomécaniciens issus de la pensée de McGill, pour qui les mouvements ont une technique idéale versus les optimistes du mouvement, qui individualisent le mouvement à la personne et qui ne font de la biomécanique qu’un outil de plus sur lequel s’appuyer. Sans en faire une idéologie inflexible de l’entrainement.
Si votre mouvement ne ressemble pas un mouvement conventionnel mais que cela vous permet de réaliser la tâche de la manière la plus efficace pour vous. Gardez-le. Ce ne sont pas quelques degrés de flexion, d’angle à mettre pour soulager soi-disant votre dos ou vos épaules qui va changer quoique soit. Si votre mouvement ne vous est pas douloureux. Gardez-le.
Pour faire suite à nos différents articles, vous avez juste besoin de temps et de progressivité sur tous vos mouvements. Pour augmenter les charges, permettre à votre corps de se renforcer. Vous n’avez pas besoin d’une technique dite idéale. Maitrisez votre mouvement, garder une position que vous pouvez maintenir, et ce même s’il apparait une flexion lombaire ou même thoracique plus importante que ce qu’on vous a enseigné.
Ici on parle de technique versus les douleurs. Il est évident qu’il peut exister une technique pour l’atteindre l’optimisation de l’hypertrophie musculaire. Mais ce n’est qu’une façon de s’entrainer parmi tant d’autres. Et cela concerne une fraction infinitésimale des pratiquants de l’activité physique.
Donc les ayatollah de la technique parfaite, laissez les gens s’entrainer comme ils l’entendent. Rien de ce que vous avancez n’est prouvé à date. Et si une personne souhaite utiliser une flexion lombaire importante pour faire son soulevé de terre, laissez la faire, elle risque même de surperformer.

Lior Esteve, Préparateur physique

 

Sources :
*Dieleman 2016, « US Spending on Personal Health Care and Public Health, 1996-2013 »
*Nolan 2018, « What do physiotherapists and manual handling advisors consider the safest lifting posture, and do back beliefs influence their choice? »
* Van der Veen kingman 2005 « The effect of extrusion cooking of different starch sources on the in vitro and in vivo digestibility in growing pigs »
*Verbeck 2012, « Proper manual handling techniques to prevent low back pain, a Cochrane systematic review »
*Hogan 2014, « The effect of manual handling training on achieving training transfer, employee’s behaviour change and subsequent reduction of work-related musculoskeletal disorders: A systematic review »
* Arjmand 2005,« Biomechanics of changes in lumbar posture in static lifting »
* Mawston 2021, « Flexed lumbar spine postures are associated with greater strength and efficiency than lordotic postures during a maximal lift in pain-free individuals »
*Wai 2010, « Causal assessment of occupational lifting and low back pain: results of a systematic review »
*Foss 2012, « The prevalence of low back pain among former elite cross-country skiers, rowers, orienteerers and nonathletes – a 10-year cohort study »
*Greg Lehman on Kinefact
*Edington 2018, « The Effect of Set Up Position on EMG Amplitude, Lumbar Spine Kinetics, and Total Force Output During Maximal Isometric Conventional-Stance Deadlift »